« Le jardin interdit » est un roman d’intrigue durant la colonisation japonaise (1910 – 1945). L’histoire s’articule autour de la géomancie coréenne, l’art de choisir un terrain propice pour y construire un lieu de vie ou bien une sépulture. Paru en 2015 en Corée du Sud, c’est en octobre 2019 que ce roman sera traduit en France par l’intermédiaire de l’Atelier des cahiers.
KIM Da-eun :
Titulaire d’un doctorat ès lettres de l’université de Paris 8, Kim Da-eun est devenue romancière à la suite de sa victoire au concours du journal coréen Kukmin Ilbo où elle a présenté son texte « Le Pays qui te ressemble ». Aujourd’hui elle a publié plusieurs romans, mais aussi des recueils de lettres d’écrivains coréens. En parallèle de sa carrière d’écrivain, elle enseigne la création littéraire à l’université des arts Chugye de Séoul.
Qu’est-ce que la géomancie ?
La géomancie est un art divinatoire où la formation de certaines figures géométriques renvoie à une symbolique. La majorité du temps, c’est plutôt par des lancées d’objets que l’on interprète les formes, mais cela peut aussi être simplement l’observation de la nature telle quelle sans qu’elle ait subi la moindre intervention humaine. À mon sens, après la lecture de ce livre, je dirais qu’il s’agit plutôt de géobiologie. En effet, la géobiologie est l’étude ésotérique de l’environnement qui nous entoure et de son influence sur le vivant. On peut aussi l’associer au principe chinois du Feng Shui, de l’équilibre des forces yin et yang. Le yin étant associé au féminin et le yang au masculin.
En bref, cet art mystique coréen, nommé pungsu (풍수), est semblable à ces disciplines. C’est une tradition coréenne très ancienne. Elle s’appuie sur l’environnement naturel pour déterminer l’emplacement de l’énergie vitale et cosmique, appelé le ki. Cela permet de choisir un terrain propice pour y implanté un lieu de vie ou bien une sépulture.
Un enjeu de taille
L’intrigue du roman s’inscrit dans un contexte colonial où le Japon souhaite montrer sa suprématie sur la Corée (appelée encore Joseon à cette époque). Ici, elle est illustrée principalement par l’architecture. En effet, le bâtiment du gouvernement général japonais a été construit directement devant le palais Gyeongbokgung. De par son architecture moderne et imposante, elle cache et nargue l’ancienne résidence du roi de Joseon, le palais principal avec son architecture traditionnelle coréenne. Cette provocation était déjà très lourde pour le peuple coréen qui ne peut que constater le viol de ces terres et ces principes sacrés par le Japon.
Cependant, c’est l’arrivée du nouveau gouverneur nippon qui lance l’intrigue géomantique. Son souhait le plus cher est d’éduquer le peuple du Joseon, considéré comme primitif, sans user de la répression afin d’asseoir la supériorité du Japon sur de nombreuses générations. Cependant, le peuple coréen ayant tenté de l’assassiner à son arrivée dans la capitale, le gouverneur est empli de doutes et de peurs. Afin de mener à bien sa « mission divine », il souhaite absolument construire sa résidence principale sur un lieu propice suite aux recommandations de sa mère défunte. Pour cela, il fait appel aux géomanciens du Joseon afin de déterminer le meilleur terrain possible grâce à leurs techniques ancestrales. Ainsi, il sera certain de pouvoir maîtriser définitivement son emprise sur Joseon et de transformer le pays en colonie du Grand Empire du Japon.
Par conséquent, cette quête de l’emplacement de la résidence du gouverneur japonais, l’envahisseur, est un vrai dilemme pour les géomanciens de Joseon. Ils sont inévitablement partagés entre leur résistance au Japon colonisateur et leur devoir de géomancien. Alors, que faire pour ménager la chèvre et le chou ? Le jardin interdit semble être la meilleure solution. Encore faut-il retrouver l’emplacement de ce terrain oublié.
Un petit point sur les personnages
De nombreux personnages sont présents dans le roman de Kim Da-eun. Ainsi, j’ai souhaité vous présenter sommairement la majorité des protagonistes de l’histoire afin de vous faciliter un peu sa compréhension. Certains personnages sont présentés sous un point de vue interne est donc identifié en titres (chapitres) du roman.
– Personnages coréens :
- Le géomancien Kim (pt. de vue interne) : personnage clé de l’intrigue et celui qui nous permet de nous immerger dans le pungsu. Son père était connu comme le meilleur géomancien de Joseon capable de déterminer le destin d’un pays.
- Le géomancien Yang (Yang Punggong) : Il a appris le pungsu par le même maître que le père du géomancien Kim, son ami. Ensemble, ils étaient les plus renommés du pays.
- « L’oncle » Sondeok : Il a appris le pungsu par Yang et le père du géomancien Kim. Cependant, ce dernier l’a renvoyé en raison de sa mauvaise vertu.
- Le géomancien Hwang Suri : Il est un allié des géomanciens Kim et Yang.
- Le patron An (pt. de vue interne) : Ancien cuisinier royal. Il est devenu par la suite le propriétaire de plusieurs restaurants : Taehwa et Myeongwol. Aujourd’hui il possède uniquement le restaurant Sikdowon.
- Durin: Sœur aînée de Serin. Elle travaillait autrefois pour le restaurant Myeongwol, mais elle fréquentait aussi parfois le restaurant Taehwa qui appartenait tous deux au patron An. Il semble y avoir tout au long du roman une confusion avec sa sœur Serin par de nombreux protagonistes.
- Serin (pt. de vue interne) : Sœur cadette de Durin. Elle fréquente le foyer féminin de foi chrétienne Taehwa qui était autrefois un restaurant. À leur contact elle a appris l’anglais et rend parfois des services d’interprète.
- La Gisaeng Horyeon : Elle est une amie de Durin et vraisemblablement elles seraient toutes les deux des résistantes. Horyeong a disparu et elle est recherchée.
- Jeong Rajeong : Un jeune et beau comédien dont Serin est éprise.
- La Gisaeng Myeongwol : Surnom que l’on donna à la gisaeng (courtisane coréenne) la plus réputée de l’établissement Myeongwol. Apparemment, elle aurait tué un Japonais en lui faisant l’amour. Ainsi, elle est devenue une légende. On ne sait pas trop si c’est un mythe ou non, car elle a disparu depuis plusieurs années. Elle serait aussi une militante de l’indépendance. Le mystère de son identité demeure (serait-ce Horyeon ?). Il est également possible qu’elle ait entretenu une liaison avec le gouverneur du Japon avant de disparaître.
– Personnages japonais :
- Le gouverneur général (pt. de vue interne) : Personnalité politique nippone la plus importante dans le régime colonial de Joseon. Il détient donc le pouvoir suprême.
- Haruki (pt. de vue interne) : Il est le directeur de la section culturelle du gouvernement colonial, chargé de retrouver les jarres de placenta de la famille royale coréenne. Il tombe amoureux d’une mystérieuse femme coréenne qui nommera « Mephel ».
- Minoru : Ami de Haruki. Il travaille dans l’hôtel du Chemin de fer du Joseon où séjourne ce dernier. Minoru semble aussi agir pour le gouvernement japonais et à un comportement plutôt étrange. En réalité, il est impliqué dans des expériences scientifiques sur des prisonniers.
- Kakeno – nom de Joseon : Yi Jaehyeon (pt. de vue interne) : Il appartient à la police secrète japonaise et se fait passer pour un coréen auprès du peuple.
- Sakoru Jiba (pt. de vue interne) : Il est chargé de la surveillance des C’est aussi un espion pour le compte du Japon.
- Kikero : Il est chargé de surveiller les mudang (chamanes coréennes).
- Isii : Géomancien japonais.
Un roman intéressant empli de symboliques
« Le Jardin Interdit » nous permet de découvrir une toute nouvelle facette de la colonisation japonaise sous un angle totalement inconnu. Plus qu’un roman, nous pouvons vraiment en apprendre davantage sur la culture coréenne ainsi que sur l’agencement de son territoire. Le pungsu est un art ésotérique permettant aux hommes de s’adapter à l’environnement naturel et d’en tirer les meilleurs bienfaits. Ainsi, dans ce roman, on découvre que l’actuelle Maison Bleue (la résidence et le bureau du président de la République de Corée) se trouve sur l’emplacement de l’ancienne résidence du gouverneur nippon. Autrement dit, au sein même du jardin interdit. Lieu auparavant uniquement réservé au roi, sa violation par d’autres personnes expliquerait qu’il soit devenu un lieu néfaste plutôt que bénéfique selon le pungsu. Aujourd’hui encore cette croyance est répandue et pourrait être une explication aux mésaventures des précédents présidents coréens.
En bref :
« Le jardin interdit » est vraiment un roman à part. Son histoire est très intéressante et instructive. En plus d’apprendre à connaître cet art mystique qu’est le pungsu, on en découvre davantage sur les croyances, les traditions et l’urbanisation sud-coréenne. Aussi, l’enquête qui se déroule en parallèle de la recherche du terrain parfait et prenante, mystérieuse et sombre. Ainsi, on peut vraiment percevoir en toile de fond la résistance coréenne qui opère dans l’ombre.
Au premier abord, l’intrigue semble complexe à comprendre au vu des nombreux personnages qui se croisent dans le roman. De plus, il faut à mon sens posséder une bonne connaissance de la culture coréenne et des alentours du palais Gyeongbokgung pour en comprendre toutes les subtilités. Aussi, certains passages sont assez rudes. L’ensemble de ces éléments peut rendre la lecture difficile, par conséquent, je le conseillerais plutôt à un public aguerri. De plus, je pense que c’est un roman à lire plusieurs fois. Je suis persuadée que je découvrirais encore plus de choses et que j’analyserais certains éléments différemment lors d’une prochaine lecture !
Personnellement, j’ai naturellement apprécié ce roman. L’époque de la colonisation japonaise étant une période historique qui m’intéresse particulièrement, j’étais enchantée de l’appréhender sous un angle différent. L’intrigue est profonde et lourde de sous-entendus sur la manière dont est perçue cette colonisation par les deux parties. Je ne peux que vous inviter à le découvrir dès à présent !
Avez-vous déjà eu l’occasion de lire ce livre ? Avez-vous envie de le découvrir ?
Recommandations :
Si vous vous intéressez aussi à la période coloniale de la Corée, je vous invite aussi à voir le film « Mademoiselle » et le drama « Mr.Sunshine ». Ou bien, si vous avez envie d’en apprendre plus sur l’urbanisme du pays, ne manquez pas le livre « Urbanité coréenne ».
Vous souhaitez acheter ce livre ?
Vous pouvez acheter ce livre directement sur le site internet de l’éditeur : http://www.atelierdescahiers.com/
Ou bien,
Rendez-vous à la librairie Le Phénix – 72, boulevard de Sébastopol 75003 Paris – ouvert du lundi au samedi de 10h à 19h
Sur leur site internet
D’autres découvertes littéraires ? Rendez-vous dans notre rubrique Littérature 😉 !
2 Commentaires
Marjorie
13 février 2020 at 15:20ça a l’ai génial ! Vous me donnez vraiment envie de lire ce livre ! Avec un bon petit latte à portée de main ^^ Donc au final, le gouverneur japonais qui a la mission d’instruire le peuple coréen va finalement se laisser instruire par eux via le pungsu ? 😉 Et j’ai adoré Mr. Sunshine ^^ je ne peux que le recommander également !
Clothilde
20 février 2020 at 15:19Coucou Marjorie !
Merci pour ton commentaire 😀 ! Oui, c’est vraiment une bonne découverte littéraire. Ta conclusion est tout à fait exacte, finalement le gouverneur finit par se laisser charmer par cet art coréen qu’est le pungsu 😉
Je suis contente d’avoir une autre fan de « Mr.Sunshine » haha !