« Le camp de l’humiliation » est un roman écrit par une auteur nord-coréenne. Cette fiction est prenante, saisissante. L’histoire d’un jeune couple ayant, semble-t-il, tout pour être heureux. Jusqu’au jour où ils sont déportés pour une raison inconnue dans un camp de détenus politiques.
KIM Yu-kyeong
Auteur nord-coréenne, Kim Yu-kyeong a fui son pays pour la Corée du Sud dans les années 2000. À ce jour, elle garde encore secrète sa véritable identité par peur de nuire aux membres de sa famille restée en Corée du Nord. En 2012, l’auteur a publié son premier roman en Corée du Sud. Puis, un deuxième roman, « Le camp de l’humiliation » en février 2016. Ce dernier sera publié en France en février 2019 par les Editions Philippe Picquier.
« J’ai eu la surprise d’apprendre que mon roman allait être publié en France. J’en ai eu les larmes aux yeux. Je me suis dit que le supplice des habitants du Nord, si isolés du monde, ne resterait pas inconnu, et cela m’a réconfortée. »
Kim Yu-kyeong
L’histoire d’une famille comme les autres
Wonho est un jeune journaliste fidèle au régime. Sa femme, Su-ryeon joue du gayageum pour l’orchestre symphonique de Pyongyang. C’est sa belle-mère, violoncelliste dans le même théâtre qui est à l’origine de leur rencontre. Depuis leur mariage, le couple vit tranquillement dans un appartement de la capitale.
Un soir, en rentrant du travail, Wonho retrouve son appartement complètement fouillé. Deux hommes lui ordonnent de faire ses bagages avant de poser à sa femme un ultimatum : divorcer ou bien suivre son mari. Elle ne pourra se résoudre à se séparer de lui. Sans explications ni précisions sur le lieu dans lequel on les emmène, ils sont enfermés à l’arrière d’un véhicule. La mère de Wonho finira par les rejoindre. En vérité, la famille a été déportée dans un camp de prisonniers politiques.
On rencontre alors un autre personnage important pour l’intrigue du roman : Chae Min-kyu. Cet homme est l’un des bowiwon du camp (personne représentant l’autorité du régime). Il a grandi dans la même province que Su-ryeon et il éprouve pour elle des sentiments amoureux depuis plusieurs années, bien qu’elle ne se souvienne pas de lui.
Une empreinte indélébile sur l’âme
À travers le quotidien de cette famille, nous plongeons au cœur des camps de prisonniers politiques de la Corée du Nord. Nous sommes intimement liés à Wonho, sa femme Su-ryeon ainsi qu’au bowiwon Chae Min-kyu dont l’auteur nous livre les pensées.
Pourquoi « le camp de l’humiliation » ? Sûrement, parce que les Droits de l’Homme sont totalement étrangers au régime de la Corée du Nord. L’humiliation devient un quotidien pour les prisonniers. En effet, les bowiwons ne considèrent même pas les détenus comme des êtres humains et ils disposent d’eux à leur guise. Aussi, le système est conçu pour que les prisonniers n’aient aucun contact entre eux.
Chaque famille vit dans une « maison », ou plutôt une cabane rapiécée faite de bric et de broc, bien espacée de ces voisins. Les membres du foyer sont dispersés dans différentes équipes de travail sous l’autorité d’un chef d’équipe lui-même issu des prisonniers. On pourrait alors penser que ce chef d’équipe fait preuve de compassion envers ses camarades détenus, mais il n’en est rien. Ce statut leur confère certains privilèges et à la moindre erreur, le chef d’équipe peut-être remplacé. Ainsi, celui-ci n’hésite pas à être brutal et à humilier ses camarades, car c’est la clé pour conserver son poste privilégié. De plus, les binômes de travail changent régulièrement, toujours dans le but d’éviter les rapprochements.
Tout au long du roman, nous sommes témoins des conditions atroces dans lesquelles survivent les détenus politiques. Leur personnalité évolue et leur physique est mis à rude épreuve. Progressivement, la vie laisse uniquement place à la survie et la noirceur grignote leur âme.
La survie au détriment de son humanité
Après quelques mois de vie dans le camp, la famille se heurte à la faim. La dureté du travail a amaigri et affaibli leurs corps et ils ne ressemblent plus qu’à des fantômes vêtus de haillons. La survie devient progressivement le seul objectif. Les détenus vont même jusqu’à se nourrir de rats et d’insectes pour avoir un maigre apport en protéines. Leurs repas est uniquement constitué de bouillit de maïs moisit et ils sont déjà heureux de pouvoir en bénéficier.
Progressivement, la personnalité des personnages évolue et on le ressent bien dans le récit. Su-ryeon fini même par succomber aux avances de Min-kyu afin d’adoucir la vie de sa famille. Cependant, son mari finit par le découvrir et nourrir ainsi un sentiment de haine profond pour sa femme et son amant. De son côté, la mère de Wonho se considère comme la seule fautive de la situation malheureuse de la famille. Chaque personnage se renferme sur sa détresse et se laisse envahir par la solitude et la haine de l’autre. Bientôt, ils n’ont presque plus rien d’humain et leur existence ne se résume plus qu’à la survie.
En réalité, la famille de Wonho s’est retrouvée dans cette situation à cause d’une erreur alors qu’ils ont toujours été fidèles au régime. Ça fait vraiment peur de constater que cela peut arriver à n’importe qui. On ne peut jamais être réellement à l’abri.
La violence n’épargne pas les âmes innocentes
Durant notre lecture, nous aurons aussi l’occasion de découvrir l’évolution d’un enfant né au sein du « camp de l’humiliation ». Je garde volontairement son identité secrète.
L’enfant comprend rapidement comment fonctionne le système et qui détient l’autorité. Pour lui aussi, la survie et le besoin d’assouvir sa faim deviennent son seul but. À cette fin, il n’hésite pas à tromper sa famille, à considérer les autres détenus comme des traîtres au régime. Aussi, il n’hésite pas à tout faire pour obtenir les grâces des bowiwons.
Il était courant au sein du camp de sanctionner les prisonniers ayant commis une faute devant l’ensemble des détenus. L’objectif étant de les maintenir dans la peur. Ainsi, une mère et ses deux enfants se retrouvent devant la foule. En effet, la mère est catholique alors que cette religion est formellement interdite par le régime, seul le bouddhisme est autorisé. En châtiment, le bowiwon ordonne aux détenus de la lapider. Cette scène m’a particulièrement marqué, car j’ai été horrifié de constaté que c’était un enfant qui avait jeté la première pierre.
Le destin tragique de cet enfant est, sans aucun doute, le parcours le plus choquant du roman. On ne peut qu’être effrayé en étant témoin de son évolution dramatique.
En bref :
J’ai été vraiment marquée par ce roman. Bien sûr, quand on entend parler de la Corée du Nord et du communisme, on s’attend forcément à l’existence de ces fameux camps de prisonniers ainsi qu’aux conditions effroyables dont ils sont victimes. Pourtant, « le camp de l’humiliation » nous prend aux tripes.
Nous sommes spectateurs impuissants du parcours dramatique des personnages. Nous nous sentons directement concernés par leur sort, car nous sommes liés à eux par l’expression de leurs émotions. L’implosion de la famille pourtant si soudée au départ, la solitude et la colère extrêmes qui vient nourrir Wonho et Su-ryeon, etc. Tous ces événements malheureux dont ils sont les victimes nous blesses et ne peux que nous toucher.
J’ai aussi ressenti des moments d’effrois face à la transformation psychologique des personnages, à l’impact que la vie au camp peut avoir sur les êtres. La violence extrême, la misère et la famine, même pour les enfants me glace le sang. Sans oublier le destin tragique de cet enfant né et ayant grandi au sein du camp de prisonniers.
Je ne peux malheureusement pas vous en dire plus, car je tiens à laisser l’intrigue entière pour les personnes qui liront ce livre. Je vous invite à le découvrir. Partager pendant un court instant le destin parfois tragique et cruel de ces habitants de Corée du Nord. Bien que l’on ait la chance d’habiter dans un pays de libertés, il ne faut pas pour autant fermer les yeux. Il ne faut pas oublier la souffrance des autres personnes vivant ailleurs dans le monde.
« Le camp de l’humiliation » nous fait prendre conscience que cela se passe encore aujourd’hui. L’histoire de cette famille bien que fictive est le reflet de millier d’autres.
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